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Exil
Vidéo numérique
Un très jeune homme vêtu de noir dans une maisonnette aux parois de bambou. Passent près de lui, comme en rêve, des images d'archives du Cambodge des années 1960 et du régime des Khmers rouges, une nuée de corbeaux de papier, la lune et les planètes, des photographies anciennes, une série d'objets. Parfois, la caresse d'une main féminine se pose sur la joue de cet homme enfant désespérément solitaire, tenaillé par la faim et à demi prostré. Il figure le cinéaste lui-même. Jeté à 11 ans sur les routes avec les siens et l'ensemble des habitants de Phnom Penh, lorsque les Khmers rouges s’emparent de la capitale en 1975, Rithy Panh a survécu, contrairement à une grande partie de sa famille, parvenant à fuir pour gagner un camp de réfugiés en 1979, d'où il part pour la France l'année suivante.
Après L'image manquante, déchirante et lumineuse traversée d'une enfance brisée par la sanguinaire révolution de Pol Pot, Rithy Panh continue d'explorer sa propre mémoire à vif d'un génocide qui a fait quelque 2 millions de victimes, auxquelles il n'a cessé de chercher à rendre justice dans son œuvre. Au-delà du pays natal à jamais perdu, l'exil qu'il évoque dans ce film poème, c'est à la fois la douleur du rescapé, "mort et vif", amputé d'une partie de lui-même, la nostalgie et l'impossible deuil d'un passé anéanti, l'absence au monde qui en découle. Mais par la magie de ses mots et de ses images, le cinéma devient un langage assez puissant pour renouer le lien avec le réel, les êtres et les choses aimés. On ne cesse de creuser la terre dans Exil, des perpétuels chantiers des Khmers rouges filmés quarante ans plus tôt aux trésors exhumés un à un par le personnage principal, comme la métaphore d'un douloureux retour vers la lumière. "Tu vois, ma mère, je t'attendais…" Citant Mao Zedong, Robespierre ou Alain Badiou, mais aussi René Char, Baudelaire et Apollinaire, la voix off, écrite une fois encore par Christophe Bataille, qui a cosigné avec Rithy Panh son livre autobiographique L'élimination (Grasset), mêle avec lyrisme une réflexion sur la révolution qui dévore les vies humaines ("La pureté, c'est la terreur…") et une méditation intime où passent les souvenirs, les sensations, les sentiments.